Des progrès, mais peut mieux faire, en termes de connaissances historiques et linguistiques... par Philippe Martel
 

Dans une interview vidéo non datée, Jean-Luc Mélenchon s'explique sur ses positions quant aux langues régionales, face aux attaques dont il estime avoir été l'objet sur cette question. Donnons-lui acte de ce qu'il reconnaît avoir lui-même été parfois assez loin dans le feu de la polémique.
Il ne doit donc pas s'étonner que certaines réponses emploient le même ton.
Donnons-lui acte également de la façon somme toute décrispée dont il aborde le problème dans les dix minutes, à peu près, de son propos.

 Nous nous bornerons à quelques remarques, tout aussi décrispées, car le ton de l'invective nous semble totalement inutile et déplacé dans ce contexte.

-JL Mélenchon commence par une présentation rapide des langues présentes sur le sol français.
Sont ainsi évoqués le basque, aux origines très anciennes, nous dit-il assez classiquement.

Nous apprenons avec surprise que pour lui, ce que parlait Jaurès, c'était du provençal. Le mot « occitan » lui semble-t-il à ce point illégitime ?

Et nous lui pardonnerons de se présenter lui-même comme un Méridional sensible à "une langue qui chante à [ses]oreilles" même si c'est un cliché qui n'apporte rien  au débat.

On peut par ailleurs se demander pourquoi il croit à l'existence de cinq bretons différents là où les spécialistes opposent d'ordinaire un bloc de trois parlers très proches, le KLT, face à un vannetais présentant des spécificités accusées. Du moins ne reproduit-t-il pas la sottise de feu Dauzat, identifiant dans le Monde en 1950 pas moins de 77 bretons différents : il s'était borné à compter les points d'enquête de l'Atlas linguistique de Bretagne de P. Le Roux... C'est à ce genre de détails qu'on mesure qu'au fil des  décennies le débat progresse.

-Il regrette que les langues régionales ne soient pas assez parlées, ce en quoi nous le rejoindrons volontiers,

- et il reconnaît les mérites du bilinguisme précoce, en se donnant lui-même en exemple, puisqu'il avait deux langues d'enfance. Là-dessus, on ne peut qu'être d'accord

-Mais on a davantage de mal à comprendre ce qui suit, et l'extraordinaire brevet de progressisme qu'il décerne à l'Ordonnance de Villers-Cotterêts, dont il ne connaît manifestement que les deux articles concernant la langue ; il ignore donc que cette ordonnance très contraignante constitue une étape importante de la construction de la monarchie absolue, que l'on n'est pas habitué à considérer comme particulièrement progressiste. A moins qu'il estime que l'interdiction des coalitions ouvrières, qui figure dans l'Ordonnance, est effectivement progressiste - certains au MEDEF seraient assez d'accord.

-Son tableau de la situation linguistique du temps est assez surprenant.

On apprend que les élites parlaient latin : elles se bornaient à l'écrire, de moins en moins d'ailleurs. Et dans le sud, dans bien des cas, c'est l'occitan autant que le français, malgré les progrès de ce dernier, qui était employé dans les actes, y compris parfois devant la justice. Mais où diable a-t-il vu que l'imposition du français permettait à tous de mieux comprendre le langage de la justice ? C'est déjà problématique aujourd'hui, en des temps d'alphabétisation et de francisation achevée, alors au XVIe siècle ?

Et s'imaginer que le souci de François Ier était que les pauvres bougres qu'il envoyait pendre puissent comprendre pourquoi relève d'un optimisme assez réjouissant.

Tout aussi réjouissante l'histoire édifiante des pauvres serfs fugitifs qui se faisaient rattraper parce que sortis de leur terroir ils ne comprenaient plus rien à ce qui se disait.

L'idée que depuis le Moyen Age au moins les phénomènes migratoires, temporaires et définitifs aient permis la rencontre régulière entre gens parlant des idiomes plus ou moins différents ne l'effleure manifestement pas. C'est pourtant une réalité, jusqu'au XIXe siècle, antérieure bien sûr à la diffusion du français, dont ces migrants se passaient fort bien surtout quand, comme les Occitans, c'est majoritairement vers l'Espagne qu'ils migraient.

JL Mélenchon a commencé visiblement à se renseigner sur l'histoire des langues de France.

Nous l'invitons à poursuivre cette étude distrayante à sa façon, et tout à fait instructive, y compris pour un candidat aux présidentielles.

-Il en vient ensuite à la question des "duretés" des instituteurs punissant les petits "patoisants", mais c'est pour les minimiser.

Plusieurs travaux  de chercheurs travaillant sur les langues de France ont depuis maintenant assez longtemps permis de donner de la politique scolaire en matière de langue un tableau un peu plus nuancé que celui qui a longtemps été tracé. Mais ces nuances n'empêchent pas de constater que sans être générale la persécution, à base de délation, a bel et bien duré jusqu'à une époque très récente, et qu'elle fonctionne encore dans les DOM-TOM.

Quant à comparer les punitions reçues pour avoir parlé "patois" à celles qui sanctionnaient des fautes en orthographe, en histoire ou en calcul, c'est aller un peu loin: les enfants qui parlaient occitan ou breton ne commettaient ni erreurs ni fautes : ils se bornaient à parler innocemment leur langue. On ne mélange pas tout.

-Après s'être déclaré partisan de l'enseignement des langues régionales, ce dont nous lui donnons acte bien volontiers, JL Mélenchon formule deux refus : d'abord celui du caractère obligatoire de cet enseignement. On en est à l'heure actuelle suffisamment loin pour que la question n'ait pas à se poser. Viendrait-elle à l'être, un certain nombre de ceux qui militent pour ces langues ne seraient pas forcément partisans d'une telle obligation, bien au contraire.

-Second refus, à propos de la Charte des Langues régionales dont il se félicite que le Conseil Constitutionnel en ait refusé la ratification. Ce culte de la Constitution gaullienne, combiné à l'éloge d'un Conseil Constitutionnel dont on connaît les tropismes politiques surprend de la part d'un homme incontestablement de gauche. Quant à attribuer à cette charte une origine douteuse (entendons allemande), c'est aller un peu loin.

Bref, si les propos tenus dans cette vidéo apportent une amélioration bienvenue par rapport à d'autres tenus naguère, il reste quand même à Jl Mélenchon des progrès à faire. 
Philippe Martel

 

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Un point de vue de Miquèl Felip Aguilèra    Miquèl-Felip Aguilèra

 

voici l'extrait en question placé en exergue sur le site http://languesculturefrance.free.fr/  :

« Je ne m'autoriserai jamais à parler en lieu et place des Alsaciens, des Basques, des Bretons, des Corses. Rien n'est plus  choquant que d'entendre un député de Belfort distribuer des leçons au nom d'une République qui n'appartiendrait qu'à lui et aux siens,et faire l'éloge du Centralisme Anti Républicain.
Chacune des identités du territoire français a son propre regard sur la République : mais toutes sont victimes du Centralisme omniprésent. Leur parole originale est en posture d'exclue. Leurs écrivains disent le monde à partir d'un statut d'exclusion. Délivrer la France du mécanisme d'exclusion centraliste exige un dialogue spécifique avec chacune.
Qu'une certaine sensibilité nationale Corse existe est l'évidence : il faut seulement trouver les formes appropriées.
La Bretagne porte en elle une mémoire qui précède l'invasion de la romanité.
L'Alsace reconnaît ses affinités avec une langue nationale Outre-Rhin.
Le Pays Basque cultive les siennes, les plus antiques du monde, avec une
minorité nationale d'au-delà des Pyrénées.
Cas analogue, l'exemple Catalan, quoique sa problématique idéologique semble
occitane.
L'Occitanie réside dans sa langue et dans sa culture, patrimoine européen.
Elle suppose une différence fonctionnelle entre le principe régional de subsidiarité, et au plan culturel le principe d'altérité,manifeste dans sa création actuelle et dans le génie des villes.Six
scénarios différents qui contribuent au développement d'une République forte, mieux adaptée au monde contemporain, et qui ne perdra rien de sa rationalité politique, bien au contraire.
Seule, la violence est condamnable sans appel.
A partir d'une nation une et simpliste que nous connaissons: ce n'est pas jeu de langue. C'est une avancée de civilisation.
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A la lecture de ce texte de Félix Marcel Castan dont je respecte la mémoire et les écrits; car son idéal partait de l'idée fort honorable au demeurant d'une république,constituée dans sa diversité par une mosaîque des régions de France.

 Vaste programme , dont on ne peut soupçonner l'intégrité ni les finalités humanistes .Mais qui présuppose l'adhésion des dites régions pour constituer un lien républicain fort. Car comme il le disait Castan, lui-même, c'est du centralisme que vient tout le mal.

Cependant, sous prétexte d'une république libérée du centralisme étatique, il me paraît difficile d'exiger des alsaciens, des basques, des bretons, des catalans ,et des corses de faire acte d'allégeance à une France constituée de régions succursalistes.Même si en préambule, il déclare ne pas parler en leur nom. Et, il précise, en substance que l'origine de la culture occitane est avant tout européenne..

Castan rêve d'une république qui ne serait plus monolingue. Nous avons été nombreux à avoir fait ce rêve...

Nonobstant, l'occitanie n'est pas un rêve mais une réalité, une réalité une et indivise sur la totalité de ses espaces inter-territoriaux, dans sa diversité économique et socio-linguistique
N'en déplaise à quelque bicorne vert, ou sénateur de tout bord; l'Occitanie n'est pas une succursale de la France, de l'Italie ou de l'Espagne. Ni une région napoléonienne, ni encore moins un département Français d'outre-mer avec l'accent d'Orane Demazi (actrice d'origine alsacienne née à Oran),comme le croyaient encore hier certains parisiens.

L'occitanie est un pays à part entière. Les femmes et les hommes de ce pays sont des citoyennes et des citoyens libres en droits et en devoirs, à part entière..Ce vieux mythe souverainiste et pétainiste d'une France monolithique constituée de provinces, est l'héritage des époques coloniales , où l'on apprenait aux petits africains l'histoire de leurs ancêtres les Gaulois. Ce type d'arguments alimenté de promesses électoralistes et de subsidesalimentaires divisent les esprits, depuis des décennies dans une occitanie corsetée où la langue n'en finit pas de mourir sous les coups répétés desjacobins et des négationnistes..

 

Miquèl-Felip Aguilèra