Pour le débat d'idées...

La lettre de Jean Luc Mélenchon aux députés, à propos de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires a suscité plusieurs réactions, dont certaines sont assez vives.
Voir lettre de Mélenchon aux députés….
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Le site « Place au Peuple », expression à l’origine des composantes du Front de Gauche dans le cadre de la campagne des présidentielles publie un article pour lequel les commentaires n’ont pas de place, voir http://www.placeaupeuple.fr/?p=23064 . Cette réflexion ignore tout ce qui a fait la richesse des échanges pendant la campagne des élections présidentielles. Le programme du Front de Gauche sur les arts et la culture ouvrait à la nécessité du débat. Mais les voix qui s’élèvent de la part de certains militants du Parti de Gauche semblent refuser la construction d’une position commune sur la question des Langues et Cultures de France. Pourtant le débat, maintes fois proposé par notre réseau, semble plus que jamais nécessaire. Nous le proposons à nouveau. Nous prenons acte toutefois de ce que déclare « Les jeunes du Front de Gauche »

« À gauche, il est possible de discuter des moyens les plus adéquats de rendre justice aux cultures et aux usages populaires. Par exemple, en envisageant une proposition de loi commune pour concourir à l’enrichissement de notre patrimoine linguistique. Avant toutes choses, le gouvernement aurait les moyens d’agir en ce sens. Mais pour étendre l’enseignement des langues régionales dans les écoles et dans les lycées, il faudrait commencer par recruter des enseignants et – par exemple – enseigner nos langues régionales ailleurs que sur leurs territoires d’usages : le gouvernement opposera les limites de notre budget national. Pour favoriser la recherche linguistique sur les langues régionales, il faut sortir les universités de la disette budgétaire où la politique d’austérité les met actuellement, recruter des chercheurs et former des enseignants. ». Voila qui peut permettre, enfin d’ouvrir le débat, pourquoi pas dans le cadre de la Fête de l’Humanité ? Nous sommes disponibles.

C’est pour être plus actif sur le terrain des idées que nous voulons refonder notre site. Les nombreuses contributions reçues nous laissent espérer une arrivée au but.

 

En attendant et à partir de ces différentes réactions Jacques Blin essaie d’élargir le débat de fond que met en lumière, pour lui, la prise de position du député européen.

 

QUAND LE DEBAT SUR LES LANGUES
INTERROGE SUR LA VOLONTE DEMOCRATIQUE

 

Le débat pour ou contre la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires mérite pour moi de ne pas rester sur le terrain unique des langues. C’est un débat de fond sur la conception de la démocratie qu’il faut avoir. La façon dont certains l’abordent et les arguments développés par M. Mélenchon m’interrogent sur l’attachement de fond au projet « L’humain d’abord ». C’est pour cela que je me permets le point de vue suivant sur ce débat.

Tout d’abord que M. Mélenchon se rassure, contrairement à ce qu’il énonce je n’ai jamais proféré en ce qui me concerne « de graves accusations contre la République » au contraire je me suis toujours prononcé pour « Une République une politiquement et culturellement plurielle ». En ce qui concerne son affirmation « aujourd’hui, et depuis 1970, tous les élèves qui le souhaitent voient ces enseignements pris en compte pour l’obtention du baccalauréat. » un petit tour par le terrain et une rencontre avec celles et ceux qui réfléchissent sur la question lui montrerait la réalité de ces enseignements et des moyens accordés.

Le fait majoritaire qui sous tend sa défense du français en l’opposant aux langues et cultures de France, est une notion qui remet en cause par bien des aspects toute la réflexion qui nourrit « l’humain d’abord » programme novateur qui veut développer le respect du pluralisme et lui donner les moyens d’ouvrir une nouvelle perspective politique.

Le fait majoritaire, c’est un système de représentation politique institutionnalisé pour déposséder le peuple de son pouvoir. Le fait majoritaire pervertit la vie politique en conduisant à des alliances contre nature au détriment du débat d’idées.

Le fait majoritaire, c’est celui qui confisque les antennes et fait alterner les paroles socialistes et celles de droite, en introduisant l’extrême droite pour réduire le débat.

Le fait majoritaire c’est celui qui s’exprime pour pérenniser la domination patriarcale  et une conception rétrograde de la famille.

Le fait majoritaire, nous voulons le mettre en cause pour bâtir une VIème République.

 

C’est donc bien la notion de pluralisme qui est en jeu et partant de là sa conception. C’est la crédibilité d’un système basé sur une représentation proportionnelle à toutes les élections qui est mis en débat, car refuser de reconnaître un statut pour les langues de France au nom d’une République une et indivisible c’est accepter le fait majoritaire de la langue française. Or le fait majoritaire, c’est celui qui nie aujourd’hui l’expression du pluralisme politique et bâillonne la parole de celles et ceux qui n’entrent pas dans ce moule que l’on veut nous imposer.

Le droit à l’expression politique du candidat du Front de gauche qui représente 3.985.000 voix à l’élection présidentielle doit avoir sa place dans le débat politique, de même que ce droit doit être accordé à d’autres considérés comme minoritaires. Mais comment défendre ce droit au pluralisme quand on nie le droit à ceux qui représentent un peu plus de 4.000.000 de locuteurs sur le territoire métropolitain et des centaines de milliers d’autres dans les territoires d’outre mer attachés aux langues et cultures de leur origine et dont la reconnaissance rendrait une dignité.

« Place au peuple » oui, mais à un peuple qui a droit à la parole et qui accepte de confronter celle-ci avec les progressistes qui veulent construire ce nouveau dont a besoin notre société pour ne pas régresser. La France d’aujourd’hui est faite de diversité, l’enfermer dans un communautarisme aux couleurs nationales, ce n’est pas la philosophie de l’humain d’abord. C’est nier toute volonté de création, celle qui a animée l’esprit du document du Front de gauche des arts et de la culture « Quelle humanité voulons-nous être ? ».

 

Quand M. Mélenchon écrit « certains articles de la Charte visant à encourager la pratique de ces langues "dans la vie publique", posent problème. Le Conseil constitutionnel a donc eu raison de dire, en 1999, qu’en conférant « des droits spécifiques à des “ groupes ” de locuteurs de langues régionales ou minoritaires, à l’intérieur de “ territoires ” dans lesquels ces langues sont pratiquées, [cette Charte] porte atteinte aux principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français. » Il n'y a donc pas lieu de remettre en cause la Constitution à ce sujet »

Le Conseil Constitutionnel affirme que cela conférerait des droits spécifiques. C’est faux ! Par contre combien de droits spécifiques sont autorisés par le Conseil Constitutionnel à des institutions privées pour l’enseignement ? Comment celui qui dit place au peuple et qui réclame à juste titre une VIème République, issue d’une constituante, peut-il se retrancher derrière l’avis d’un conseil constitutionnel ?

A ce stade de la réflexion, il n’est pas inutile de rappeler que cette notion de « République Une et Indivisible » naquit dans la déclaration du 25 septembre 1792 proclamée par la Convention Nationale. Elle fut reprise sous le Directoire le 22 août 1795. Elle sera confirmée sous le Consulat le 13 décembre 1799. Cette devise disparaîtra dans la Constitution qui instaure l’Empire, le 18 mai 1804. Habilement, Louis Napoléon Bonaparte (qui deviendra Napoléon III) la fera réapparaître par la promulgation d’une nouvelle Constitution le 4 novembre 1848 afin de se faire élire triomphalement en décembre 1848. Puis il y eu le 2 décembre 1851. Gambetta s’écria « Vive la France, vive la République une et indivisible ! » et il n’eut de cesse de faire échouer les Communes de Narbonne, Marseille, Lyon et la Ligue du Midi qui, s’inscrivant dans cette notion de République, y apportaient des propositions sociales et démocratiques avancées. Attachés à cette République, du nom de IIIème, Gambetta rejoignait sur ce plan Thiers manifestant ainsi leurs inquiétudes d’une décentralisation dont était porteur le courant républicain. La constitution de 1946 donnait un peu plus de couleurs à cette notion et De Gaulle garda le principe de cette « République une et indivisible » dans la constitution de 1958 pour donner l’illusion de s’inscrire dans la constitution née de la Libération. Au fil de l’Histoire, ce principe devient une phrase passe-partout qui permet aux pouvoirs de s’abriter sous sa résonnance initialement révolutionnaire, afin de rester les maîtres du jeu.

J’ajouterais à propos de la notion de République, cette réflexion de Félix-Marcel Castan dans son manifeste de l’année 2000 ;

« La difficulté commence quand il s’agit d’un République ouverte, et d’autre chose que des simples individus. Il faut alors approfondir l’analyse et s’interroger sur le principe d’égalité lui-même. On redoute, à juste titre, le danger de communautarisme. Les communautarismes sont mortels : y compris le communautarisme national…Une politique d’exclusion des cultures et des langues, dans l’intérêt d’une seule, semble incompatible avec l’idéal républicain de cohabitation des disparités (ici entendre diversité). »

Cela est à méditer pour relativiser la lecture de cette phrase très discutable de  M. Mélenchon « Ainsi une telle ratification de la Charte conduirait le pays à de nouvelles divisions absurdes entre immigrés et non immigrés, cette fois quant au statut des langues parlées. Notre pays a-t-il vraiment besoin de cette nouvelle discrimination volontaire ?(…)»

Discrimination volontaire ? Veut-il dire sous sa plume négation des cultures vivantes sur notre territoire ? Mais revenons aux fondamentaux qui ont fait le ciment de notre campagne des présidentielles notamment dans le programme « Quelle humanité voulons-nous être ?Un projet pour l’art, la culture et l’information » » sur le sujet inépuisable de notre recherche démocratique pour faire « Place au peuple » nous avons écrit « Le peuple est privé de parole. Privé du temps aussi, pour écouter, se former, se construire, se confronter aux autres, tout au long de la vie. Sans doute pas par hasard.

La prise en compte des intelligences individuelles et collectives (elles existent aussi chez celles et ceux qui voient dans la ratification de la Charte un outil pour avancer et non une fin en soi) serait à même de nourrir de sang neuf notre démocratie dont les formes représentatives ne sont plus adaptées. En effet, les citoyens de notre pays ne sont plus considérés que dans leur faculté à déléguer leur propre et aliénable pouvoir politique à des élus professionnels de la politique qui évitent de les associer à l’élaboration des politiques publiques, encore plus à les laisser contrôler la réalisation. »

C’est un sentiment profond que nous sommes plusieurs à partager et sommes obligés de le confronter à la pratique du député européen dont il est question ici. Je ne le considère pas comme un professionnel, mais je suis obligé de relever qu’étant de sa circonscription je ne  l’ai jamais vu venir à la rencontre du peuple de ce territoire pour entendre ses problèmes, ses suggestions en un mot des « intelligences individuelles et collectives». Nous ne rendrons crédible notre projet démocratique que si nous en montrons sa validité dans nos démarches d’aujourd’hui.

 

J’ai hésité longtemps avant d’écrire ces lignes, suite au courrier de M. Mélenchon adressé aux parlementaires le 21 janvier dernier, mais le sentiment d’être devant un texte qui ferme tout espoir d’une construction politique, je me suis décidé. Cette lettre dessine une République figée, repliée sur elle-même. Finie la démocratie participative et l’implication populaire permanente ?

Non ! plus que jamais elle vivra,  si Citoyennes et Citoyens s’emparent du « Place au Peuple »