N° 1776 ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

CINQUIÈME LÉGISLATURE

SECONDE SESSION ORDINAIRE DE 1974-1975

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée Nationale le 18 juin 1975. Annexe au procès-verbal de la séance du 19 juin 1975.

PROPOSITION DE LOI

Relative à la langue et à la culture bretonnes.

(Renvoyée a la Commission des affaires culturelles, familiales et sociales ù défaut da constitution d'une Commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

PAR MM. JACQUES CHAMBAZ, MAURICE ANDRIEUX, MARCELIN BERTHELOT, Mme JACQUELINE CHONAVEL, MM. FERNAND DUPUY, GEORGES HAGE, EMILE JOURDAN, PIERRE JUQUIN, JOSEPH LEGRAND, DANIEL LE N1EUR, ROLAND LEROY, GEORGES MARCHAIS, GILBERT MILLET, Mme GISÈLE MOREAU, MM. MAURICE NILÈS, JACK RALITE, GILBERT SCHWARTZ, ANDRÉ

TOURNÉ, CLAUDE WEBER

et les membres du groupe communiste (1) et apparenté (2),

Députés.

(i) Ce groupe est composé de: MM. Andrieux (Pas-de-Calais), Ansart, Arraut, Baillot, Ballanger, Balmigère, Barbet, Bardol, Barel, Barthe, Bcrthelot, François Billoux, Bordu, Bustin, Canacos, Carlier, Cermolacce, Chambaz, Mme (:honavel, ht. Combrisson, Mme Constans MM. Dalbera, Depietri, Ducoloné, Dupuy, Duroméa, Dutard, Eloy, Fajon, Fiszbin, Frelaut, Garcin, Giovannini, Gosnat, Gouhier, Hage, liouël, Jans, Jourdan, Juquin, Kalinsky, Larnps, Paul Laurent, Lazzarino, Legrand, Le h1eur, Lemoine, Leroy, L'Huillier, Lucas, Maisonnat, Marchais, Maton, -Millet, Montdargent, Mme Moreau, MM. Nilès, Odru, Porelli, Pranchère, Ralite, Renard, Rieubon, Rigout, Roger, Roucaute, RuRe, Gilbert Schwartz, Tourné, Villa Villon, Vizet, Claude Weber.

(2) AZ. Ibéné.

Langues régionales

 

EXPOSÉ DES MOTIFS

MESDAMES, MESSIEURS,

La langue et la culture bretonnes constituent une richesse culturelle qu'on ne saurait accepter de perdre.

Au cours des siècles, les civilisations celtiques ont parfois été fort brillantes et la culture bretonne en France a produit des oeuvres intéressantes. L'étude de leur histoire et des faits de civilisation qui en découlent est d'un intérêt scientifique et historique réel.

Aujourd'hui, le breton est encore la langue parlée d'une fraction non négligeable de la population.

La présente proposition de loi portant sur la culture bretonne et l'enseignement du breton, prend en compte ces faits objectifs et répond à de justes revendications.

Elle prolonge aujourd'hui les demandes formulées par le groupe parlementaire communiste dès 1947 (proposition de résolution no 1326 du 16 mai 1947).

Elle s'inscrit à la fois dans les perspectives proposées par le programme commun de la gauche et dans les dispositions de la proposition (n° 756) du 16 octobre 1973, sur la création de l'école fondamentale démocratique et moderne, déposée par le groupe communiste à l'Assemblée Nationale, -

L'approfondissement de la crise globale de la société française conduit à une dégradation du développement culturel, national et régional. Loin d'aller vers une démocratisation d'ensemble du système d'éducation nationale, nous assistons à une aggravation de la ségrégation sociale, à un appauvrissement du contenu scientifique et démocratique de l'enseignement. A travers toute la France, les enfants des travailleurs et des couches modestes sont les principales victimes de cette politique scolaire et culturelle.

Cet approfondissement de la crise accentue dans tous les domaines les disparités et les déséquilibres régionaux. Le renforcement de l'autoritarisme, de la centralisation et de la personnalisation du pouvoir agit dans le même sens.

Nul domaine n'échappe à cette orientation essentielle de la politique du pouvoir qu'il s'agisse de l'économie, de la vie sociale, de la culture. Les difficultés régionales sont en définitive des variantes régionales de cette crise globale de la société française.

La France a besoin d'une nouvelle politique culturelle. Le programme commun de la gauche en crée les conditions car cette nouvelle politique est inséparable d'une politique de progrès social, du dégagement des ressources et des moyens nécessaires, d'une démocratisation, à tous les niveaux, de la vie publique.

Pas d'épanouissement de la création sans liberté de la création. Pas d'essor de la pensée sans liberté de pensée. Pas de liberté de création et de pensée sans liberté de leur expression et de leur diffusion. L'intelligence doit cesser d'être en butte à la loi du profit, aux contraintes et entraves matérielles et idéologiques que cette loi impose. La culture doit recevoir les moyens qui garantiront son expansion.

Pas d'accès de tous à la culture sans que l'ensemble de la population ait le temps et les moyens de vivre, sans qu'un équipement culturel moderne, dynamique, diversifié soit implanté sur tout le territoire, sans que soit formé un personnel qualifié, capable de mettre en valeur la patrimoine et d'animer la vie culturelle dans toutes ses dimensions, à tous les niveaux, dans toute sa diversité.

Dans ce cadre, la réforme démocratique et moderne de l'éducation nationale est une condition majeure de la réussite d'une politique culturelle.

Pour déterminer les objectifs, dégager les orientations et rechercher l'utilisation rationnelle des moyens, une collaboration permanente sera instituée, au plan national entre les représentants qualifiés de toutes les activités qui concourent à la création et à la diffusion de la culture. Une collaboration du même ordre sera encouragée à tous les niveaux : régional, départemental, local.

Cette intense vie culturelle suppose un vaste courant d'échanges et de synthèses qui feront le développement et la richesse de la culture nationale.

La traduction à l'échelon régional de cette politique culturelle dans sa globalité et sa diversité sera assurée par l'existence d'une nouvelle organisation administrative démocratique.

«La région cessera d'être un écran administratif supplémentaire pour devenir une nouvelle collectivité territoriale démocratique de plein exercice avec des responsabilités importantes... Elle disposera d'une assemblée élue au suffrage universel direct et au scrutin proportionnel... »

Le domaine des compétences de la région ne portera atteinte ni à l'unité nationale, ni à l'autonomie par ailleurs renforcée des départements et des communes... Outre ce rôle économique fondamental, les régions auront également une activité importante dans le domaine culturel. Elles permettront ainsi l'épanouissement des cultures locales...

Au niveau de chaque région, sera constitué un Conseil régional composé dans des conditions identiques à celles du conseil d'administration de la Société nationale de radio-télévision. Ce Conseil aura la responsabilité des émissions culturelles sur l'une des chaînes de télévision.

En ce qui concerne l'enseignement, les langues régionales auront leur place dans l'éducation en tant que réalités vivantes et en tant qu'éléments de la culture nationale.

Pour tenir compte de cette réalité, respectueuse de la volonté de chacun, la réforme démocratique de l'enseignement telle qu'exposée dans la proposition de loi no 736 "portant création de l'école fondamentale démocratique et moderne » offrira aux enfants et aux familles la possibilité de choisir des options adaptées.

 

PROPOSITION DE LOI

Article premier.

Un enseignement de langue et de culture bretonnes est dispensé dans les établissements d'enseignement situés dans les départements de basse Bretagne, sur demande des conseils de gestion desdas établissements et après décision du Conseil Régional: en accord avec le Ministre de l'Education. La forme et le contenu de cet enseignement varieront en fonction du cycle d'enseignement. Toute liberté est laissée, sur le plan pédagogique aux enseignants pour adapter leur prestation aux besoins. Facultatif, cet enseignement est ouvert aux enfants dont les parents en expriment la demande.

Art. 2.

Ecole maternelle.

A l'école maternelle, des activités en langue bretonne (jeux, comptines, etc.) peuvent être organisées suivant les modalités définies dans l'article premier de la présente loi.

 

Art. 3.

Enseignement primaire.

Dans les classes de l'enseignement primaire, une option «d'activités dirigées en langue bretonne » peut être créée, suivant les modalités définies dans l'article premier de la présente loi. Le breton y sera utilisé, notamment pour développer l'expression orale des enfants, leur sens de l'observation, ainsi que leurs facultés de raisonnement grâce aux moyens pédagogiques appropriés (écriture, lecture, conversation, etc.). Des considérations sur l'histoire et la géographie de la Bretagne seront développées par les maîtres.

Art. 4.

Enseignement du second, degré.

Dans toutes les classes de l'enseignement du second degré, dans les sections générales comme dans les sections professionnelles, est créée - suivant les modalités définies par l'article premier de la présente loi - une option de «langue et civilisation bretonnes». Le breton y sera enseigné comme toute autre langue vivante; des cours seront donnés sur la civilisation de la Bretagne, son histoire, les oeuvres littéraires en breton.

Art. 5.

Le breton est choisi par l'élève en tant qu'option venant s'ajouter aux langues étrangères prévues dans le cours de l'enseignement en tant que matières obligatoires.

A l'examen final du cycle terminal du deuxième degré, l'élève pourra choisir le breton, soit à la place de la deuxième langue étrangère à condition qu'il en ait suivi régulièrement l'enseignement ait moins depuis la quatrième, soit dans le cadre des épreuves facultatives.

Art. 6.

Des activités diverses (chants, danses, théâtre, initiation à certaines formes d'artisanat, etc.), relevant de la culture bretonne, peuvent être exercées dans le cadre de clubs et cercles fonctionnant ou non à l'intérieur des établissements scolaires.

Art. 7.

Enseignement supérieur et formation des maîtres.

Les centres ou instituts d'enseignement et de recherche bretonne et celtique existant actuellement dans des universités de Bretagne peuvent --- après des votes favorables émis par leurs instances dirigeantes, les conseils d'UER compétents et le Conseil d'université - être transformés en UER autonomes. Ils disposeront de moyens de

fonctionnement propres. Ils auront dès lors pour mission d'organiser la recherche dans tous les domaines (linguistique, histoire, géographie, littérature, etc.) relevant de leur compétence, ainsi que d'assurer les cours de langue et civilisation bretonnes et celtiques dispensés dans l'ensemble de l'université.

 

Art. 8.

D'autres UER du même type peuvent être créées en conformité avec la loi d'orientation de l'enseignement supérieur.

Art. 9.

L'enseignement, dans ces UER, sera dispensé, comme dans les autres disciplines, par les enseignants chercheurs.

Art. 10.

Des enseignements de langue et civilisation bretonnes et celtiques figureront aux programmes des cursus de premier cycle. Leur horaire sera le même que celui qui est réservé à toute autre langue vivante. Des certificats spécifiques seront créés dans le cadre de la maîtrise.

Art. 11.

La formation du personnel qui enseignera le breton relèvera - comme celles des autres enseignants - des centres pédagogiques universitaires.

Art. 12.

Outre la recherche fondamentale menée dans les UER définies dans l'article 7 de la présente loi, et celle conduite dans les établissements relevant du Centre national de la recherche scientifique,, la recherche en sciences de l'éducation concernera aussi l'enseignement du breton. Elle se fera aussi dans les établissements de recherche relevant du Centre national de la recherche en sciences de l'éducation.

 

Art. 13.

Des dispositions destinées à développer les activités culturelles - expositions, musées, musique et chant, architecture, théâtre, littérature, sauvegarde du patrimoine artistique et naturel, artisanat d'art, etc. - relevant de la civilisation bretonne, seront prises en coopération avec le Ministère des Affaires culturelles.

Art. 14,

Le Conseil régional de Bretagne prendra toutes mesures pour encourager et développer l'enseignement du breton dans les écoles, lycées et universités de Bretagne. La propagande - tant dans les autres régions françaises qu'à l'étranger - en faveur de la culture bretonne et la présentation de ses réalisations seront aussi de sa compétence.

Art. 15.

La télévision et la radio assureront des émissions en langue bretonne. La radio et la télévision scolaires contribueront polir leur part à l'enseignement de la Langue bretonne et de sa culture.

Art. 16.

.Application de la présente loi et dispositions transitoires.

L'application de la présente loi est du ressort du Ministère de l'Education en relation avec le Conseil régional.