le 21 mai 2013
Le président de l'Assemblée Territoriale de Corse, le communiste Dominique Bucchini,
à l'ouverture des débats sur la coofficialité corse / français :
La coofficialité corse / français a été votée de façon
massive :
(Rapport n° 066 : proposition de statut pour la coofficialité et la
revitalisation de la Langue Corse - Adopté - Pour 36 voix, Non participation 11
voix et 4 Absents ...)
Chers collègues,
C’est un débat particulièrement important que nous allons tenir à présent ; il
intéresse chacun d’entre nous car nous avons tous ici, sur tous les bancs de cet
hémicycle, le même amour de notre langue et un désir partagé de l’entendre
parler par un nombre croissant de personnes et en tous lieux, je veux dire aussi
bien dans la sphère privée que dans l’espace public.
Ayant l’honneur de représenter les électeurs de Corse depuis la création de
cette Assemblée, j’ai le privilège de pouvoir mesurer le chemin parcouru durant
les mandatures successives pour conduire à une reconnaissance de plus en plus
étendue de la langue corse.
Je ne vais pas ici faire l’historique de ce dossier, dont les grandes étapes
sont d’ailleurs citées dans la proposition de délibération qui clôt le rapport,
de la toute première délibération du 8 juillet 1983 et du projet de proposition
au Premier Ministre relative à l’enseignement de la langue corse jusqu’à la
délibération du 29 juillet 2011 par laquelle nous demandions la mise en œuvre de
moyens juridiques pour un statut de coofficialité.
Entre-temps, à plusieurs reprises, l’Assemblée de Corse a délibéré, soit à la
suite de motions émanant des groupes, soit sur saisine de l’Exécutif, abordant
la question de la langue dans toutes ses implications.
Le projet de délibération mentionne, à juste titre, les divers documents adoptés
durant les années 2000 mais il ne me parait pas inutile de rappeler –ne fut-ce
que pour mettre en perspective le débat que nous allons tenir aujourd’hui- que
pour la seule mandature 1992-1998, nous avons discuté au moins 8 fois de sujets
touchant à la politique linguistique. Ainsi –après avoir adopté lors de la
mandature précédente une motion des groupes « Unione di U Populu Corsu et
Cuncolta Naziunalista sur la ratification de la résolution 192 du Conseil de
l’Europe sur les langues minoritaires, l’Assemblée a-t-elle ensuite adopté :
- une motion –du groupe « Communiste et Démocrates de Progrès » le 9 février
1995 demandant la ratification de la charte, demande réitérée par sa
délibération du 21 février 1997 sur motion du même groupe;
- le 3 mai 1996, motion du groupe Unione di U Populu Corsu sur l’implantation
des sites bilingues dans les établissements du premier degré ;
- le 17 juillet 1997, une motion du groupe « ANC » demandant au gouvernement
d’engager une procédure de révision constitutionnelle pour permettre la
ratification de la charte ;
-le 20 novembre 1997, les dispositions relatives à la langue corse mentionnées
dans le rapport « Présence et Avenir de la langue corse » présenté par le
Conseil Exécutif ;
-une motion déposée par notre ancien collègue Marie-Jean VINCIGUERRA au nom du
groupe « Démocratie Corse », demandant la mise en place d’un inter-groupe de
réflexion et d’information afin d’aplanir les difficultés faisant obstacle au
plan de sauvegarde da la langue corse ;
- le 9 avril 1999 enfin, une motion du groupe « le Rassemblement » demandant
également la ratification de la charte Européenne des langues régionales et
minoritaires.
Cette longue énumération, complétant les mentions du projet de délibération, a
pour unique but de montrer comment –partant somme toute de positions assez
éloignées sur ce sujet qui pouvait encore, durant les années 80, amener la
discorde, nous avons su, peu à peu, chacun apportant sa pierre à l’édifice, nous
rassembler pour voter à l’unanimité, le 26 juillet 2007, le Plan d’Aménagement
et de Développement linguistiques 2007-2013.
Ce plan est en voie d’achèvement, et quelque soit l’évaluation qui en sera faite,
il est clair que le rapport présenté par l’Exécutif ouvre à présent une nouvelle
période, prévoyant de nouvelles avancées, avec un cadre juridique pouvant
permettre à notre langue de rayonner plus largement, d’être parlée –comme le
disait encore récemment Jean-Marie ARRIGHI,-« de manière naturelle dans la
société » la société, moderne, paisible et prospère que nous souhaitons tous.
Ce cadre- la coofficialité- n’a pas d’autre objet que l’affirmation de l’égalité
juridique des deux langues sur le territoire de la Corse, en vue d’une égalité
réelle dans la société. un tel statut constituerait un progrès démocratique car,
s’il créerait des droits nouveaux pour les individus, ça ne serait pas au
détriment des droits existants ni en contradiction avec le principe d’égalité
devant la loi ; on ne peut, par ailleurs, raisonnablement penser que la
coofficialité, sur le territoire de la CTC, du corse et du français, serait de
nature à saper les fondements de la République Française, dont le caractère «
indivisible » s’accorde avec l’« organisation décentralisée ».
Non, l’enjeu de ce débat n’est pas l’unité de la République ! Il est à la fois
bien plus modeste du point de vue national et cependant très importants à notre
échelle.
Car là sont les véritables défis : développer une éducation bilingue, favorisant
le développement cognitif des enfants et ouvrant au plurilinguisme, à
l’ouverture et aux échanges ; encourager une créativité décuplée dans les divers
domaines artistiques et culturels ; accroître l’attractivité de notre territoire,
de ses produits ; affirmer pleinement la personnalité de la Corse et installer
enfin un sentiment de justice, d’égale dignité, porteur de tolérance et de
solidarité.
Qu’une telle évolution statutaire suscite, chez certains, des appréhensions, des
réserves, à tout le moins des interrogations, je peux le comprendre ; il ne
s’agit pas de stigmatiser telle ou telle position mais d’expliquer, de
convaincre et surtout de garantir, tant au niveau du texte qu’à celui de la
pratique, le respect scrupuleux des droits linguistiques de tous, sans opposer
les deux langues constituant ce « bilinguisme franco-corse » qui fait notre
richesse.
Je suis certain que nous pourrons –en veillant à la « faisabilité » du projet,
notamment en termes de moyens, de progressivité, de modalités concrètes de mise
en place- dégager ensemble les chemins praticables pour y parvenir.
Je vous remercie.